L’épée de Mohammed (partie 2 de 2)

par Uri Avnery (http://gush-shalom.org, 23/09/06)

Description: Un juif athée s’interroge sur l’idée voulant que l’islam ait été propagé par l’épée.  Partie 2 : la propagation de l’islam et le règne musulman comparé au règne chrétien.

Le pape lui-même relativisa ses propos.  En tant qu’illustre théologien, il ne pouvait se permettre de falsifier un texte écrit.  Il admit donc que le Coran interdisait spécifiquement la propagation de la religion par la force.  Il cita le verset 256 de la seconde sourate du Coran :

« Nulle contrainte en religion. »

Comment quelqu’un peut-il ignorer une telle déclaration non-équivoque?  Le pape prétend que ce commandement fut transmis au Prophète lorsque celui-ci était en tout début de mission, encore faible et impuissant, mais que plus tard, il ordonna l’utilisation de l’épée au service de la religion.  Un tel ordre n’existe pas dans le Coran.  Il est vrai que Mohammed a encouragé l’utilisation de l’épée dans sa guerre contre les tribus – chrétiennes et juives, entre autres – en Arabie, à l’époque où il érigeait son État.  Mais il s’agissait d’un acte politique et non religieux, d’abord et avant tout une guerre de territoire et non une mission de propagation de la foi.

Jésus a dit : « Vous les reconnaîtrez à leurs actions ».  Le traitement des autres religions, par l’islam, doit être jugé à l’aide d’un simple test : comment les dirigeants musulmans se sont-ils comportés, durant plus d’un millénaire, quand ils avaient le pouvoir et la possibilité de « propager la religion par l’épée »?

Ils n’en firent rien.

Durant de nombreux siècles, les musulmans régnèrent sur la Grèce.  Les Grecs devinrent-ils musulmans?  Fit-on des pressions, sur eux, pour qu’ils deviennent musulmans?  Au contraire, les Grecs chrétiens occupaient les positions les plus élevées au sein de l’administration ottomane.  Les Bulgares, les Serbes, les Roumains, les Hongrois, de même que d’autres peuples européens vécurent tous, à un moment ou l’autre, sous le règne ottoman; et pourtant, ils demeurèrent tous chrétiens.  Jamais ils ne furent forcés de devenir musulmans.

Il est vrai que les peuples albanais et bosniaque devinrent majoritairement musulmans.  Mais il n’y a personne pour affirmer que cela ce soit fait sous la contrainte.  Ils devinrent musulmans, au départ, dans l’espoir d’être les favoris du gouvernement et en tirer profit.

En 1099, les Croisés conquirent Jérusalem et y massacrèrent les musulmans et les juifs indifféremment et ce, au nom de Jésus.  À cette époque, pourtant, malgré le fait que les musulmans occupaient la Palestine depuis déjà quatre siècles, les chrétiens y étaient toujours majoritaires.  Au cours de cette longue période, aucun effort majeur n’avait été fait pour leur imposer l’islam.  Ce n’est qu’après l’expulsion des Croisés que la majorité des habitants adoptèrent petit à petit la langue arabe et la foi musulmane; nous parlons ici des ancêtres de la plupart des Palestiniens d’aujourd’hui.

Il n’existe aucune preuve d’une quelconque tentative, de la part des musulmans, d’imposer l’islam aux juifs.  Il est bien connu que sous le règne musulman, en Espagne, les juifs jouirent d’un essor comme ils n’en connurent jamais par la suite, à part, peut-être, de nos jours.  Des poètes comme Yehuda Halevy écrivaient en arabe, tout comme Moïse Maïmonide.  Dans l’Espagne musulmane, il y avait des ministres, des poètes et des scientifiques juifs.  Dans le Toledo musulman, des érudits juifs, chrétiens et musulmans travaillaient ensemble et traduisirent même les textes scientifiques et philosophiques de la Grèce ancienne.  Comment tout cela aurait-il pu être possible si le prophète Mohammed avait réellement décrété la « propagation de la foi par l’épée »?

Ce qui se produisit, après cette époque, est révélateur.  Lorsque les catholiques firent la reconquête de l’Espagne, ils instituèrent un règne de terreur religieuse.  Les juifs et les musulmans se retrouvèrent devant un cruel dilemme : devenir chrétiens, être massacrés ou s’exiler.  Et où les centaines de milliers de juifs, qui refusèrent d’abandonner leur foi, s’exilèrent-ils?  La quasi totalité d’entre eux fut reçue à bras ouverts en terre d’islam.  Les juifs sépharades se dispersèrent dans plusieurs pays musulmans, du Maroc, à l’ouest, à l’Irak, à l’est, et de la Bulgarie (qui faisait alors partie de l’empire ottoman), au nord, au Soudan, au sud.  Ils s’y installèrent sans être persécutés.  Ils ne connurent ni les tortures de l’Inquisition ni les flammes de l’auto-da-fé, les pogromes ou les expulsions massives qui eurent lieu dans presque tous les pays chrétiens, jusqu’à l’holocauste.

Pourquoi?  Parce que l’islam interdit explicitement la persécution des « Gens du Livre ».[1]  Dans les sociétés islamiques, un statut spécial était réservé aux juifs et aux chrétiens.  Ils ne jouissaient pas toujours de droits égaux, mais presque.  Ils devaient payer une taxe spéciale, mais étaient exemptés du service militaire – ce que les juifs appréciaient particulièrement.  On rapporte que certains dirigeants musulmans désapprouvaient toute tentative de convertir des juifs à l’islam, même par la simple persuasion, car cela entraînait une perte, au niveau des taxes.[2]

Tout juif honnête qui connaît bien l’histoire de son peuple ne peut que ressentir une grande gratitude envers l’islam, qui a protégé les juifs durant plus de cinquante générations, tandis que le monde chrétien les a persécutés et a tenté, à plusieurs reprises, de leur faire abandonner leur foi « par l’épée ».

L’idée, donc, selon laquelle l’islam aurait été propagé par l’épée n’est qu’un mauvais mythe, l’un de ceux qui ont pris naissance en Europe durant les grandes guerres contre les musulmans – la reconquête de l’Espagne par les chrétiens, les Croisades et la répression des Turcs, qui faillirent prendre Vienne.  Je soupçonne le pape allemand de croire, lui aussi, à ces fables.  Ce qui voudrait dire que celui qui se trouve à la tête du monde catholique et qui est un théologien chrétien à part entière n’a fait à peu près aucun effort sincère pour étudier l’histoire des autres religions.

Pourquoi a-t-il prononcé ces paroles en public?  Et pourquoi à ce moment en particulier?

Il est difficile de ne pas considérer ces paroles dans le contexte de la nouvelle croisade des États-Unis contre l’islam, à notre époque où le mot « terroriste » est devenu synonyme de musulman.  Pour Bush comme pour le présent gouvernement, il s’agit d’une tentative cynique de justifier la domination des ressources pétrolières de la planète.  Et ce n’est certainement pas la première fois, dans l’histoire de l’humanité, que l’argument religieux est servi pour couvrir des intérêts économiques, ni qu’une expédition de voleurs devient une croisade.

Le discours du Pape vient s’unir à cet effort.  Qui donc peut en prédire les terribles conséquences?[3]

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