- par Imam Mufti (© 2017 IslamReligion.com)
Description: Les chrétiens perçoivent le Dieu musulman comme distant, inapprochable et impersonnel. Cet article compare le nom chrétien de Dieu, Abba, à l’un des noms de Dieu les plus souvent utilisés dans le Coran, Rabb.
Abba de la Bible
Les chrétiens font référence à Dieu en tant que Père dans leurs invocations et leurs prières. Dieu le Père est aussi considéré comme l’une des trois personnes composant la trinité. Ils croient que le Père a un fils, Jésus. Les chrétiens croient souvent être les seuls à avoir une relation bien personnelle, autant avec le Père que le Fils. Abba serait la translitération du terme araméen utilisé pour « père » et il est toujours utilisé pour s’adresser directement à Dieu le Père. Le terme apparaît trois fois dans tout le Nouveau Testament, dont une fois dans l’évangile de Marc (Marc 14:36 : Abba, Père, pour toi, tout est possible.) Les deux autres fois sont dans Romains 8:15 et Galates 4:6.
Il existe un grand débat entre les érudits juifs et chrétiens sur la nature de Dieu en tant que père (ou abba, en araméen). Ce débat vit le jour après ce qu’un érudit luthérien allemand, Joachim Jeremias, écrivit dans son ouvrage intitulé « The Prayers of Jesus » (Les prières de Jésus), traduit en anglais par John Bowden. Son argument essentiel fut par la suite repris, avec quelques nuances, par de nombreux chrétiens. Edward Schillebeeckx le rendit populaire parmi les catholiques, dans son ouvrage intitulé « Jésus ».
Ce que Jeremias affirmait, essentiellement, est que Jésus faisait du terme abba un usage particulier et que ce terme occupait un rôle central dans ses enseignements. Ensuite, que pour Jésus, ce terme dénotait une familiarité spéciale et une tendresse provenant de l’origine du mot abba. Enfin, que l’usage de ce terme se distinguait des pratiques du judaïsme. Son point, c’est que l’utilisation du terme abba, par Jésus, n’était pas inspirée de l’Ancien Testament ni de son milieu juif palestinien, mais plutôt de la relation unique qui l’unissait à son « Père ». Par conséquent, certains écrivains chrétiens allèrent jusqu’à suggérer que l’on fasse référence à Dieu en utilisant le terme « daddy » (i.e. « papa »), mais la plupart des chrétiens rejetèrent ce terme comme trop informel et irrespectueux. Il est intéressant de souligner que plusieurs écrivaines chrétiennes féministes ont ouvertement mentionné avoir un problème avec l’idée d’un Dieu de sexe masculin et ont rédigé plusieurs ouvrages critiques sur ce sujet.
Alors que la plupart des membres de l’Église contemporaine se contentent de répéter ces arguments [1] , ceux-ci furent durement critiqués. Mary Rose D’Angelo apporte des preuves contre eux dans un article intitulé « Abba et « Père » : la théologie impériale et les traditions de Jésus ».[2] Plusieurs auteurs juifs tels Alon Goshen-Gottstein [3] et Gerald Friedlander[4] apportent des preuves démontrant que des rabbins et des juifs ont bel et bien utilisé le mot abba pour faire référence à Dieu.
S.Vernon McCasland, de l’université de Virginie, a écrit : « Le mot abba (père) n’apparaît que trois fois dans le Nouveau Testament (…) Il représente un certain défi à cause de la façon dont les traducteurs – ceux de l’époque comme ceux d’aujourd’hui – ont été incapables de le traduire avec exactitude. Les 27 traductions que j’ai consultées illustrent très bien ce problème. Presque sans exception, le mot a toujours été translitéré. Pourtant, abba n’est pas un mot anglais, pas plus qu’il n’est latin, allemand, français ou espagnol; et aucun lecteur, à moins qu’il ne soit versé en langues sémitiques, ne peut faire plus que d’en deviner vaguement le sens. Ce mot frappe le lecteur comme s’il s’agissait d’une sorte d’incantation incompréhensible. La plupart des traducteurs l’ont laissé tel quel, comme s’il était chargé d’une sorte de puissance surnaturelle. »[5]
Le Rabb du Coran
Selon le Coran, Dieu n’a pas de fils et Il n’est certes pas un père. Certains chrétiens, en l’apprenant, s’imaginent que les musulmans n’ont pas de proximité avec Dieu, car ils tendent à voir Dieu en termes humains. Ils considèrent qu’ils ont une relation « personnelle » avec Jésus et son Père, mais « Allah » leur apparaît comme un être distant.
La relation des musulmans avec Dieu s’exprime dans le terme Rabb (ou, plus correctement, ar-Rabb), un des noms de Dieu les plus fréquemment répétés dans le Coran. C’est aussi le nom le plus souvent utilisé par les prophètes et les pieux pour invoquer Dieu. Ce nom a une signification très claire et illustre parfaitement la relation profonde qui unit Dieu aux croyants.
Linguistiquement, selon Ibn Faris, les anciens Arabes utilisaient le mot Rabb dans divers contextes:
·Réparer une chose brisée et la garder en bon état. Rabb est le maître, le créateur et Celui qui maintient en bon état.
·Se tenir près d’une chose ou de quelqu’un.
·Joindre deux choses ensemble.
·Dans le Coran, le mot Rabb, lorsqu’il fait référence à Dieu, signifie :[6]:
1.Le Maître qui n’a pas d’égal et qui enveloppe de Sa générosité toute Sa création.[7]
2.Rabb est Celui qui pourvoit aux besoins de Sa création, mais Il n’est pas le père de Ses créatures. Rabb prend soin de Ses créatures, les fait passer d’une phase de vie à une autre, les comble de bénédictions. Il leur fournit des moyens de subsistance et Il est le seul à contrôler les trésors de la terre et des cieux.
3.Rabb nourrit le cœur, l’âme et le caractère de ceux qu’Il aime.[8] Les prières des prophètes et des pieux invoquant Rabb (que l’on traduit, le plus souvent, par « Seigneur »), telles que rapportées dans le Coran, illustrent bien ce sens du mot:
La prière d’Abraham : « Seigneur! Accorde-moi la sagesse et fais-moi rejoindre les pieux. » (Coran 26:83)
La prière du pieux : « Seigneur! Pardonne et sois miséricordieux, car Tu es le meilleur des miséricordieux. » (Coran 23:118)
La prière d’Adam et Ève : « Seigneur! Nous nous sommes fait du tort à nous-mêmes. Et si Tu ne nous pardonnes pas et ne nous fais pas miséricorde, nous serons certainement du nombre des perdants. » (Coran 7:23)
La prière de Noé : « Seigneur ! Pardonne-nous, à mes parents et à moi… » (Coran 71:28)
Enfin, le terme Rabb, dans le Coran, est utilisé en tant que Rabb (Seigneur) de « tous les mondes », « de tout ce qui existe », « de Moïse et d’Aaron », « du Trône », « des cieux et de la terre » et « de l’Est et de l’Ouest ».
NOTE DE BAS DE PAGE:
[1]Voir entrée ‘Fatherhood of God’ dans le Baker’s Evangelical Dictionary of Biblical Theology.
[2]Mary Rose D’Angelo, Journal of Biblical Literature, vol. 111, No. 4 (Hiver, 1992), pp. 611-630. Publié par: The Society of Biblical Literature.
[3]Voir “God the Father in Rabbinic Judaism and Christianity: Transformed Background or Common Ground?” dans le Journal of Ecumenical Studies, 38:4, printemps 2001.
[4]Voir “The Jewish Sources Of The Sermon On The Mount” publié par Kessinger Publishing, LLC (janvier 11, 2005).
[5]Voir “Abba, Father” par S. Vernon McCasland, Journal of Biblical Literature, vol. 72, No. 2 (juin., 1953), pp. 79-91. Publié par The Society of Biblical Literature.
[6]Shar’ Asma il-Allahi Ta’ala al-Housna par Dr. Hassa al-Saghir, p. 123-125
[7]cf. Tafsir Ibn Jarir et Tafsir Ibn Kathir
[8]Taisir al Karim al-Rahman, vol5, p.485