L’instruction en islam (partie 1 de 3) : Les livres à Baghdad

  • par Aisha Stacey (© 2013 IslamReligion.com)
  • DescriptionNi la guerre ni l’occupation ne peuvent effacer l’héritage littéraire de Baghdad.
  • Literacy_in_Islam_(part_1_of_3)_001.jpgBaghdad a été le théâtre de très nombreuses explosions et de violences sans nom, ces dernières années.  Baghdad rappelle à plusieurs le chaos, la mort et la destruction.  Baghdad est une ville à l’agonie, mourant à petit feu.  Tandis que nous regardons ces images de désolation, sur nos écrans télé, il est difficile d’imaginer que Baghdad a déjà été un haut lieu d’éducation.  Les termes « Baghdad » et « livres » furent étroitement reliés des siècles durant.  Des étagères pleines de livres ornaient les murs des habitations et les vendeurs de livres se trouvaient partout dans la ville.  Aujourd’hui encore, parmi les décombres et l’agitation, les résidents de Baghdad magasinent des livres.  « C’est une vieille maladie, en Irak : les gens dépensent leur argent sur des livres plutôt que sur la nourriture », dit à la blague un traducteur irakien pour NBC News.[1].

      C’est au cours de la période que l’on appelle le Haut Moyen Âge que débuta l’histoire d’amour entre Baghdad et les livres.  À une époque où les églises européennes se comptaient chanceuses lorsqu’elles avaient une bibliothèque comprenant plusieurs livres, il y avait, à Baghdad, une rue comptant pas moins de cent librairies.  En Occident, l’instruction était réservée à une élite et aux autorités religieuses.  Mais à Baghdad, les gens du peuple avaient accès à une trentaine de bibliothèques publiques.

    Au cours des deux siècles qui suivirent le décès du prophète Mohammed, ce qui fut d’abord une petite nation musulmane devint un empire s’étendant de l’Afrique du Nord à l’Arabie, de la Perse à l’Ouzbékistan et se dirigeant vers l’Inde.  Vers l’an 750 de l’ère chrétienne, Baghdad, construite sur les rives du Tigre, devint la capitale de l’empire musulman.  Sa situation géographique lui facilitait les contacts vers la Chine et elle devint bientôt non seulement un centre politique et administratif, mais une plaque tournante de la culture et de l’éducation.

    Des hommes et des femmes provenant de toutes les parties de l’empire se rendaient à Baghdad, apportant avec eux un savoir qui venait nourrir les lieux et le peuple.

    Des musulmans, des juifs, des chrétiens, des hindous, des zoroastriens et même des gens de confessions moins connues habitaient, tous ensemble, à Baghdad.  Les livres devinrent le symbole de la vie à Baghdad.  Les rues fourmillaient d’auteurs, de traducteurs, de scribes, d’enlumineurs, de bibliothécaires, de relieurs, de collectionneurs et de libraires.  Tous ces gens d’origines diverses étaient liés par la langue arabe, qui devint la langue de l’érudition et du savoir.

    Les ouvrages de Platon, d’Aristote, de Ptolémée et Plutarque, entre autres, furent tous traduits en arabe.  Les philosophes juifs utilisaient les traductions arabes des ouvrages des philosophes grecs pour écrire leurs propres traités et essais.  Quand l’Europe commença à émerger du Moyen-Âge, elle se retrouva à dépendre des livres rédigés en arabe pour se réapproprier les fondements de l’empire occidental.

    En effet, plusieurs des livres originaux traduits à Baghdad avaient été perdus ou détruits dans leurs pays d’origine; c’est la raison pour laquelle ils n’existaient plus qu’en version arabe.  Les érudits de Baghdad avaient pour tâche de préserver les ouvrages classiques des Grecs, des Romains et des Égyptiens.  Par ailleurs, ils avaient également traduit des classiques de Perse, d’Inde et de Chine.  Ces grands ouvrages furent ensuite traduits de l’arabe au turc, au persan, à l’hébreu et au latin, entre autres langues.  Thomas d’Aquin, théologien catholique, fit sa fameuse synthèse de la raison et de la foi après avoir lu les œuvres d’Aristote traduites par des érudits de Baghdad.

    Non seulement les érudits de Baghdad collectionnaient-ils les grandes œuvres et en faisaient-ils la synthèse, ils contribuaient eux-mêmes au savoir.  Ils créèrent de nouveaux domaines d’études, tels la mécanique céleste, et firent découvrir l’algèbre et la géométrie au reste du monde.  Un érudit de Baghdad rédigea même un manuel d’ophtalmologie, que l’on croit être le premier livre de médecine de l’histoire contenant des dessins anatomiques.  Ce manuel fut utilisé durant plus de huit siècles, autant en Orient qu’en Occident.

    Alors que Baghdad devenait un haut lieu d’éducation, le calife, Haroun al-Rashid, et son fils al-Mamoon mirent sur pied un des plus grands laboratoires d’idées de l’histoire, Bayt al-Hikmah, ou Maison de la Sagesse.  Les érudits de la Maison de la Sagesse, contrairement aux érudits modernes, ne se spécialisaient pas dans un champ unique.  Al-Razi, par exemple, était à la fois philosophe, mathématicien et médecin et al-Kindi écrivait sur la logique, la philosophie, la géométrie, le calcul, l’arithmétique, la musique et l’astronomie.  Parmi ses ouvrages, certains portaient des titres tels « La raison pour laquelle la pluie tombe rarement à certains endroits », « La cause du vertige » et « Faire des croisements avec les colombes ».

    L’historien al-Maqrizi a décrit l’ouverture de la Maison de la Sagesse en 1004 : « Les étudiants s’installèrent dans leurs résidences.  Des livres furent apportés de plusieurs bibliothèques… et le public fut admis. Quiconque souhaitait copier un des livres était libre de le faire et quiconque souhaitait lire un des livres de la vaste collection était également libre de le faire.  Des érudits y venaient pour étudier le Coran, l’astronomie, la grammaire, la lexicographie et la médecine, entre autres.  Le sol du bâtiment était orné de tapis et toutes les portes et les couloirs étaient ornés de rideaux.  Des administrateurs, des serviteurs, des porteurs et d’autres subalternes étaient chargés de l’entretien des lieux. »[2]

    Les livres ont toujours joué un rôle important dans la vie de Baghdad.  Dans le Baghdad du 11e siècle, un manuscrit « … était à peu près de la taille d’un livre moderne, était fait de papier de qualité, dont les feuillets étaient rédigés recto verso et reliés par une couverture de cuir. »  Une librairie contenait en moyenne des centaines de titres incluant l’exégèse du Coran, les écritures chrétiennes et juives, des œuvres gouvernementales, des procès-verbaux, de la poésie islamique et préislamique, les ouvrages des différentes écoles de pensée en islam, des biographies, des fictions, des œuvres littéraires, des guides de voyage pour l’Inde, la Chine, l’Indonésie, etc, de même que des ouvrages de linguistique et de calligraphie, de médecine arabe et grecque et d’astronomie.[3]

    Aujourd’hui, malgré les bombes qui explosent autour d’eux, malgré leur monde qui s’écroule et le gouffre profond dans lequel ils s’enlisent, les habitants de Baghdad tiennent toujours autant à leur héritage littéraire.  Parmi les décombres, des vendeurs de livres exercent toujours leur commerce et les citoyens font parfois un choix entre acheter des livres ou de la nourriture.  Il y a, en islam, une longue tradition d’instruction.  Le tout premier mot du Coran révélé au prophète Mohammed fut iqra, i.e. lis, apprends, comprends.  Dans la deuxième partie, nous verrons ce que disent le Coran et la sounnah (hadiths) du Prophète sur l’instruction et la recherche du savoir.

     


    Footnotes:

    [1](http://worldblog.msnbc.msn.com/archive/2007/11/30/487951.aspx)

    [2](http://www.sfusd.edu/schwww/sch618/ScienceMath/Science_and_Math.html)

    [3]Ibid.

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